Généralités

1- RAPPEL DE QUELQUES ÉVIDENCES FONDAMENTALES.

Première évidence : les hommes ont toujours nommé les montagnes qui les entouraient, les ruisseaux où ils allaient pêcher et les villages qu’ils bâtissaient. Et cela est certainement contemporain de l’apparition du langage.

Deuxième évidence : tous les noms de lieux ont une signification. Les hommes n’ont jamais désigné leurs villages, montagnes ou cours d’eau par des suites de sons vides de sens. Retrouver la signification d’un nom de lieu, c’est retrouver l’intention des hommes qui l’ont nommé. C’est pourquoi un nom de lieu doit toujours être interprété dans la langue de ses créateurs. Souvent la signification est immédiatement transparente. Par exemple, Castelnaune pose aucun problème de compréhension car ses deux composantes (castel et nau) sont des mots de la langue occitane que nous parlons encore aujourd’hui. Mais quand un nom remonte à l’époque romaine et qu’il relève de la langue latine, la découverte de sa signification devient un peu plus compliquée. Et s’il remonte à une époque encore antérieure, il peut appartenir à une langue qui a disparu ou a cessé d’être comprise (par exemple le gaulois, l’ibère, l’aquitain, le ligure) ; il se peut alors que sa signification nous échappe complètement. Il faut donc se livrer à tout un travail de décryptage et ce travail est passionnant, bien que sa réussite soit loin d’être toujours assurée.

 

2- LA TOPONYMIE EST UNE SCIENCE.

On entend parfois dire que la toponymie n’est pas une science et qu’elle ne peut offrir que des hypothèses plus ou moins plausibles. C’est inexact. Il en est de la toponymie comme de toutes les autres sciences. Il y a d’une part les acquis absolument certains et il y a d’autre part la toponymie « en train de se faire », (comme il y a une biologie ou une physique en train de se faire) et qui comporte sa part d’incertitudes, d’hypothèses ou même d’obscurités complètes.

C’est à la méthode comparative qu’on doit les premiers résultats acquis avec certitude. Ainsi, le tout premier pas fut accompli du jour où on s’avisa de comparer les noms de lieux terminés en -ac/-acq (ex : Julliacq, Frontignac, Aurillac, Pontacq, etc.) On comprit alors qu’on avait affaire à un radical représentant un nom de personne généralement latin (Julius, Frontinius, Aurelius, Pontus, etc.) suivi d’un suffixe signifiant “propriété de”, donc que l’origine de ces localités était sans doute une grande exploitation agricole ayant appartenu à un propriétaire romain ou romanisé.

Inversement, en comparant les toponymes ayant le même radical, mais des suffixes différents (ex : Aurillac, Aureilhan, Orly, etc.) on a pu déterminer la signification, l’origine et l’évolution des divers suffixes -an-ac-on-y, etc.

Plus récente mais aussi féconde est la méthode des localisations. Par exemple, on a observé qu’un grand nombre de hauteurs bien marquées étaient désignées par la racine *KUK (ex. : Cuq dans le Lot-et-Garonne) ou par un mot contenant cette racine (ex. : Cucuron dans le Vaucluse). À quelle langue et à quel peuple appartenait ce mot ? Pour tenter de répondre à cette question, il faut évidemment commencer par porter sur des cartes toutes les occurrences du mot concerné et par en déterminer l’extension géographique. Dans le cas pris comme exemple, le résultat est évident : il ne s’agit pas d’un mot celte, car on le trouve dans des lieux que les Celtes n’ont jamais occupés.

 

3- L’HISTOIRE ET LA TOPONYMIE.

Ce sont deux sciences interdépendantes.

Sans parler de l’histoire générale, un minimum de connaissances d’histoire locale est indispensable afin de ne pas commettre des erreurs grossières.

Ainsi, c’est pour avoir méconnu un point d’histoire locale, à savoir que Tournay est une bastide fondée en 1307 par Jean de Mauquenchi (par transfert de Tournai en Hainaut), que Dauzat et Rostaing ont pu écrire dans la première édition de leur dictionnaire : « Du nom d’homme gaulois Turnus ou prélatin turno (= éminence) et suffixe -acum » (erreur heureusement rectifiée dès l’édition suivante). On ne peut donc pas faire de toponymie en méconnaissant l’histoire.

Mais réciproquement, la toponymie est indispensable à l’histoire. Montrons-le sur un exemple choisi parmi des centaines d’autres possibles.

Nous n’avons évidemment aucun document nous racontant la fondation du village de Laméac (canton de Rabastens). Nous n’avons aucun vestige archéologique à part un fragment de tuile romaine recueilli sur la motte castrale. Les premières mentions écrites datent environ du XIVe siècle. Mais, le nom du village permet d’affirmer que nous avons affaire à une propriété antique datant probablement du IIe siècle et que le premier propriétaire portait le nom de Flaminius[1].

On constate, sur cet exemple, que le nom d’une localité représente très souvent le premier (et parfois l’unique) document que nous ayons sur elle. C’est pourquoi toute monographie ou étude sérieuse sur une localité devrait commencer par une étude toponymique, ce qui n’est généralement pas le cas, hélas !

 

La toponymie d’une région permet en outre de préciser les différentes couches de peuplement de cette région. Mais c’est surtout la protohistoire qu’elle permet d’éclairer en fournissant des indications sur des périodes pour lesquelles les documents écrits font défaut. Un nom de ville, de cours d’eau ou de montagne constituent des documents archéologiques aussi précieux qu’une hache de bronze, qu’une poterie ou qu’une urne funéraire. C’est la raison pour laquelle nous devons veiller jalousement au respect de leur intégrité.


[1] Propriété de Flaminius se dit en latin Flaminiacum. La finale -um tombe car elle n’est pas tonique. Le f initial du latin devient en gascon, mais ne peut se prononcer car il est devant une consonne. Le n tombe car il est placé entre deux voyelles. Ce qui donne phonétiquement Lamiac, francisé enLaméac. Reportez-vous à la fiche de cette commune.