De l'accueil au rejet (1919-1945)
Au lendemain de la guerre, les Hautes-Pyrénées connaissent une crise démographique grave. Le dépeuplement amorcé depuis le milieu du XIXe siècle sous l’effet conjugué de la baisse des naissances et de l’exode rural ainsi que les conséquences humaines du conflit provoquent une diminution de population de 65.174 individus entre 1851 et 1921, les Hautes-Pyrénées passant de 250.934 habitants à 185.760 habitants.
Département principalement rural, cette dépopulation entraîne l’abandon des terres déstabilisant l’économie locale. Dans ce contexte, l’immigration étrangère est perçue comme une solution. Les besoins de l’agriculture mais aussi du secteur industriel expliquent donc l’accroissement sans précédent de la population étrangère au cours des années 1920. Celle-ci double entre 1921 (4.853 étrangers) et 1936 (10.755 étrangers).
Mais, ces chiffres sont en réalité bien supérieurs : les décomptes de l’administration ne tiennent souvent pas compte des étrangers de passage (saisonniers, frontaliers) auxquels il faut ajouter ceux qui obtiennent la nationalité française.
Durant cette période, l’immigration, jusqu’ici spontanée, devient largement collective et organisée par l’Etat et les organisations professionnelles : les mouvements temporaires s’amenuisent au profit d’une main-d’œuvre permanente. On assiste également à une diversification des flux.
Cependant, la crise économique qui impacte la France au début des années 1930 puis le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale ont de lourdes conséquences pour la population immigrée. Celle-ci entre alors dans un période tourmentée…
Durant l’Entre-deux-Guerres, le nombre d’immigrés s’installant dans les Hautes-Pyrénées croit fortement. Leur origine évolue aussi…
Bien que leur présence stagne au cours de cette période, les Espagnols demeurent la plus importante communauté immigrée du département (74% des immigrés en 1926, 61% en 1938), loin devant les Italiens (12,1 % en 1926, 23,4% en 1938).
Aux côtés de ces deux principaux groupes qui représentent donc près de 85% de la population étrangère des Hautes-Pyrénées, sont recensées une multitude de nationalités composées d’une dizaine à une centaine d’individus chacune. Parmi elles, notons principalement des ressortissants portugais, suisses, belges ou allemands.
Composantes d’une immigration économique, ces hommes et (parfois) ces femmes occupent des secteurs d’activité qui varient en fonction de leurs nationalités. Employés essentiellement dans le secteur de la construction, de l’industrie et des mines, Espagnols et Portugais occupent ainsi des postes à forte pénibilité. Suisses et Allemands souvent recensés dans la branche industrielle sont, quant à eux, embauchés sur des postes à responsabilité en raison de leur expertise et de leurs qualifications. Les Italiens, enfin, s’installent avant tout en zone rurale et valorisent les terres agricoles comme métayers ou fermiers.
Le secteur agricole fondé encore très largement sur le métayage et le fermage dans le Sud-Ouest de la France favorise l’apport de main-d’œuvre extérieure
Afin de valoriser des terres laissées à l’abandon, faute de bras. Un système relayé et soutenu par les acteurs du monde rural se met alors en place pour permettre aux immigrants de s’installer. Dans ce cadre, des expériences d’introductions sont vainement tentées dans le Sud-Ouest – salariés portugais, suisses ou slaves, familles bretonnes ou vendéennes. Mais celles-ci restent sans lendemain. C’est finalement avec les Italiens que la greffe s’opère.
Alors que les destinations traditionnelles se ferment aux Italiens (Etats-Unis, Argentine ou pays germaniques pour des raisons diverses) le Sud-Ouest offre aux émigrants de l’espace et des places à prendre. Le différentiel des prix du foncier rend son territoire attractif. Alors que Mussolini conforte la dictature, le fascisme au pouvoir détermine aussi une partie des départs.
Rapidement des réseaux se mettent en place issus principalement des régions du nord de l’Italie, (Vénétie, Lombardie et Piémont), zones rurales frappée par le surpeuplement, la misère et, pour la Vénétie, par les destructions de la Première Guerre mondiale.
La majorité des Transalpins s’installe comme métayers ou fermiers mais certains acquièrent des terrains dès leur installation, créant une hiérarchie sociale au sein des communautés italiennes. Contribuant à revaloriser des domaines menacés d’abandon, leur impact économique est très favorablement perçu. Mais il est également humain : l’immigration italienne est d’emblée familiale ce qui en fait un afflux particulier. Ce sont donc des petits noyaux de vie italienne qui s’implantent même si l’habitat rural dispersé explique cependant que jamais aucune « Petite Italie » ne soit apparue.
Au lendemain de la guerre, les Hautes-Pyrénées s’affirment comme un département industriel. Pour les étrangers, il devient alors le premier secteur de recrutement.
Les immigrés, Espagnols et Portugais en tête, y occupent les postes les plus pénibles ce qui provoque parfois manifestations et grèves. Leur répartition géographique reflète dès lors celle des industries dans le département : Tarbes, nord de la vallée d’Aure, plateau de Lannemezan et environs de Pierrefitte-Nestalas et de Soulom.
A côté de ces effectifs importants, évoluent un groupe d’étrangers, numériquement plus réduit, composé de spécialistes allemands et suisses, ingénieurs, dessinateurs industriels ou chimistes, employés en raison de leur qualification.
Avec la crise économique qui touche la France à partir de 1931, la xénophobie se durcit. Dans ce contexte, commerçants, artisans et professions libérales accusent les étrangers de concurrence déloyale et mènent une campagne pour obtenir la protection de la loi. L’étranger devient dès lors un bouc-émissaire tout au long d’une décennie marquée par la violence politique et l’afflux de réfugiés, antinazis, juifs ou républicains espagnols.
La situation sociale des étrangers est, de tout temps, davantage précaire : les risques de licenciement sont plus grands pour eux, réduisant d’ailleurs toute mobilisation sociale de leur part. Dans ce cadre, il faut rappeler que l’attribution de leur carte d’identité, et donc leur droit de séjour, reste liée au travail. Ils constituent donc le premier volet d’ajustement lors d’une conjoncture défavorable telle que la crise des années 1930 qui affecte durement leur condition.
L’Etat élabore ainsi une politique restrictive à leur encontre : la loi du 10 août 1932 sur la protection de la main-d’œuvre contingentent les travailleurs étrangers selon les branches d’activité. Mais le patronat proteste rapidement contre ces mesures jugées trop restrictives et obtiennent pour de nombreux secteurs (bâtiments, mines, carrières), des dérogations.
Dérogations et quotas permettent donc aux étrangers de venir s’installer en France si bien que leur nombre continue en réalité d’augmenter durant cette période de crise. Les départements du Sud-Ouest bénéficient également, durant cette période, des transferts qui se produisent entre sites industriels et zones rurales : en raison des restrictions d’emploi dans le secteur industriel, certains centres tels que la Lorraine sont délaissés au profit de départements ruraux. En recherche de main-d’œuvre agricole, les Hautes-Pyrénées continuent ainsi de voir le nombre d’Italiens, très présents dans le secteur agricole, augmenter…
Au-delà du domaine économique, la situation des étranges se dégrade tout au long de la période : les contrôles des étrangers se renforcent au nom de la sûreté nationale, le régime des expulsions s’assouplit, les conditions de séjour se durcissent, les assignations à résidence sont facilitées ainsi que l’internement administratif... Dans ce cadre, les deux principales communautés immigrées présentes dans le département font l’objet d’une surveillance étroite : les autorités françaises craignent en effet les conséquences politiques de l’installation d’Espagnols républicains ou d’Italiens antifascistes…
La décennie des années 1930 est marquée par de multiples vagues de réfugiés nées du contexte politique européen puis de l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale en 1939.
Ainsi, trouvent refuge dans les Hautes-Pyrénées :
- Des Sarrois en qualité d’apatrides après le rattachement de la Sarre à l’Allemagne par le IIIe Reich (1935). 233 d’entre eux sont ainsi recensés en 1938.
- Des juifs originaires d’Allemagne et d’Europe centrale et orientale suite aux persécutions subies sous le régime nazi en Allemagne (lois raciales de Nuremberg de 1935, Nuit de Cristal en novembre 1938) ainsi qu’en Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne ou Roumanie. Par la suite, au lendemain de l’armistice franco-allemand du 22 juin 1940, se joindront à ce premier groupe, d’autres individus de confession juive, français ou étrangers, installés en zone occupée qui cherchent à trouver abri en zone libre.
- Les républicains espagnols dans le cadre de la « Retirada », exode massif amorcé au lendemain de la défaite de l’armée républicaine suite à la chute de Barcelone et qui contraint la France à ouvrir ses frontières aux civils à partir du 28 janvier 1939 et quelques jours plus tard aux combattants. Le département des Hautes-Pyrénées est néanmoins confronté dès le printemps 1938, à une arrivée massive de réfugiés espagnols, conséquence de la bataille de la poche de Bielsa (avril-juin 1938) qui pousse des civils à franchir les cols dans des conditions extrêmement difficiles pour rejoindre la vallée d’Aure. Si ces arrivées provoquent, dans certains départements, l’aménagement de camps (Gurs dans le Pyrénées-Atlantiques, Rivesaltes, Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien dans les Pyrénées-Orientales…), leur accueil dans les Hautes-Pyrénées s’effectue principalement par la réquisition d’hospices, de colonies de vacances ou d’usines désaffectées. Certains rejoignent également leurs familles déjà installées dans le département. Ces mouvements finissent par amplifier la communauté espagnole et la présence massive de ces réfugiés politisés et urbains transforme radicalement sa physionomie sociale, politique et culturelle.
- Les ressortissants belges ainsi que les Français habitant le nord et l’est de la France fuyant les combats entre alliés et nazis. Installés chez l’habitant ou dans des centres réquisitionnés, c’est également à l’occasion de l’arrivée de ce flux important qu’est aménagé le camp de la Planète à Tarbes…
En raison de leur nombre et compte tenu du contexte politique et économique, cet accueil de réfugiés est parfois source de tensions et d’incompréhension…
L’entrée en guerre contre l’Allemagne le 3 septembre 1939 et la mobilisation qui en découle, entraînent un climat d’hostilité envers les étrangers car les plus nombreux d’entre eux en Hautes-Pyrénées, Espagnols et Italiens, ressortissants de pays neutres, ne sont astreints à aucune obligation.
Toutefois, pour les transalpins, la situation se dégrade fortement lorsque l’Italie déclare la guerre à la France le 10 juin 1940 : tandis qu’une trentaine d’Italiens considérés comme suspects sont arrêtés et internés, les autres membres de la communauté sont appelés à souscrire une déclaration de « loyalisme ». Cet épisode douloureux pèse sur un groupe bien intégré à la société locale.
Comme déjà évoqué, le conflit provoque l’afflux de milliers de réfugiés fuyant l’avancée allemande et les combats.
Parmi eux, figurent des étrangers aux destins incertains : républicains espagnols, antifascistes ou juifs subiront ainsi, en zone libre, les décisions du Gouvernement de Vichy au lendemain de l’armistice franco-allemand de juin 1940. Pourchassés, ils feront l’objet d’arrestations et de mesures d’internement.
Les Espagnols constitueront notamment l’essentiel des effectifs des Groupements de travailleurs étrangers (GTE) créés en septembre 1940. Groupement fondé sur le travail forcé des étrangers considérés « ne surnombre dans l’économie nationale », une partie de leurs composants sera mise, par la suite, à disposition des Allemands dans le cadre de l’organisation TODT et du STO.
Les juifs, quant à eux, feront l’objet d’assignation à résidence dans les centres touristiques et thermaux dotés d’infrastructures d’hébergement suffisantes pour les accueillir (Lourdes, Cauterets en particulier). Une large partie d’entre eux fera l’objet d’une rafle en août 1942 et sera déportée.
Considérés également comme faisant partie des groupes responsables des malheurs de la Nation, les nomades et tsiganes sont rassemblés au sein d’un camp situé sur le plateau de Lannemezan. En avril 1941, le préfet des Hautes-Pyrénées rassemble tous les « nomades » du département sur le plateau de Lannemezan, puis les enferme dans un hôpital en ruine, asile d’aliénés, gardé par la gendarmerie. Le camp est situé à flanc de coteau et à la merci des éléments, comme tous les autres camps il est sous équipé et insalubre. Les internés de Gurs en trop mauvais état de santé y sont versés.
Durant la guerre, les étrangers tentent, au même titre que les Français, de continuer à vivre. Certains font toutefois le choix de la résistance ou de la collaboration…
Marqués politiquement, les ressortissants espagnols issus des rangs des réfugiés, se constituent en groupe de résistants dans l’optique de libérer l’Espagne du joug franquiste. Dans ce cadre, les travailleurs des chantiers de montagne forment les premiers noyaux de guérilleros. Ceux-ci s’étoffent avec le temps et participent à de nombreux combats : un groupe associé aux FTP du commandant Jeannot et à la résistance locale, obtient ainsi le 19 août 1944 la reddition de la garnison allemande de Lourdes.
Outre des combattants, les Espagnols comptent dans leur rang, des passeurs qui agissent depuis les chantiers de montagne.
La communauté Italienne se trouve, quant à elle, impliquée et déchirée durant le conflit.
Certains transalpins rejoignent les maquis ou soutiennent, par leurs activités de métayers et de fermiers, la résistance en ravitaillant clandestinement certains réseaux.
D’autres s’affirment, en revanche, comme des collaborateurs notoires. Collaboration idéologique à l’image de Carlo Baroni, adhérent du fasciolocal avant-guerre ou collaboration opportuniste à l’instar de Carlo Vidoni, ces individus feront, au même titre que les collaborateurs français, les frais de l’épuration, parfois sauvage qui marqua la libération du département.
A la Libération, les Hautes-Pyrénées accueillent des prisonniers de guerre allemands et italiens internés dans différents camps du Sud-Ouest. Ils constituent alors une main-d’œuvre employée sur les chantiers aux conditions de travail difficiles, principalement en montagne et dans les mines.
En novembre 1945, 250 prisonniers de guerre italiens internés en Ariège ou en Haute-Garonne sont ainsi répartis sur différents chantiers : à Artigues, Pierrefitte-Nestalas (mines de la Pennaroya), Saint-Lary (aménagement hydraulique de la vallée du Rioumajou) et à Arras-en-Lavedan (travaux de captation d’eau). Les effectifs et leurs lieux d’affectation changent toutefois régulièrement au gré des besoins.
Cette situation perdure jusqu’à la signature des traités de paix qui règlent leur sort et permettent, pour une partie d’entre eux, leur rapatriement. Certains, notamment des ressortissants italiens, font toutefois le choix de demeurer en France…