Des mouvements à la marge (1800-1919)
L’immigration croît en France tout au long du XIXe siècle. Si la présence d’étrangers s’avère ancienne dans les Hautes-Pyrénées, leur présence demeure encore modeste jusqu’à la Première Guerre mondiale : en 1851, 1.700 immigrés sont ainsi recensés parmi les 250.934 habitants que compte le département.
A cette période, les Hautes-Pyrénées constituent principalement une zone de départ et l’immigration, majoritairement saisonnière, ne compense pas cette situation démographique. En effet, si le département voit arriver une centaine d’Espagnols pour curer les fossés, quelques chaudronniers, ramoneurs ou colporteurs, quatre fois plus de ses habitants (vallées de Barèges, de Campan, d’Aure ou de Barousse) se rendent durant cette période en Espagne pour travailler comme manœuvres.
Les étrangers participent aux mobilités de travail et de négoce au même titre que des provinciaux français dont ils ne se distinguent d’ailleurs pas (ou sensiblement). D’un point de vue des mentalités de l’époque, « l’étranger » est en effet celui qui n’appartient pas à l’espace local. L’appartenance nationale n’est qu’une caractéristique parmi d’autres quand les Français qui circulent sont aussi dotés de particularismes culturels et d’étrangeté ; il ne faut pas oublier que si peu à peu le français s’impose comme langue commune, la plupart des Français parlent alors leur langue ou leur dialecte régional, leur « patois ». Cette situation est flagrante pour les échanges franco-espagnols : « Tous ces mouvements migratoires antagonistes sont moins caractérisés par le franchissement d’une frontière nationale que par le fait de s’arracher à son « petit pays » pour gagner une autre région » (L. Teulières, Histoire des immigrations en Midi-Pyrénées XIXe-XXe siècles, Portet-sur-Garonne, 2010, p. 13, cote : 8° 7561).
Au XIXe siècle, les Hautes-Pyrénées traversent une grave crise démographique : entre 1851 et 1911, le département perd 50.999 habitants passant de 249.234 à 198.235 individus. Outre la baisse de la natalité, cette chute de population s’explique par l’exode rural et l’émigration. Ces phénomènes touchent en effet toutes les communes haut-pyrénéennes comme en témoigne l’enquête menée auprès des maires en 1861.
Durant cette période, la présence étrangère dans le département bien qu’en augmentation reste modeste et ne compense que très partiellement ces départs : entre 1851 et 1911, le nombre d’étrangers passe en effet de 1.700 (0,67 % de la population totale) à 4.032 (2 %).
Si cette immigration ne palie alors pas le déficit démographique provoqué par l’émigration des Hauts-Pyrénéens, il faut souligner que le département s’affirme comme l’un des trois départements, avec celui Gers et de la Haute-Garonne, à concentrer l’immigration dans le Sud-Ouest.
Les mouvements de populations étrangères sont de plusieurs natures. La première d’entre elles qui s’affirme comme le plus important, est saisonnière : à l’instar de travailleurs et marchands français, ces étrangers, principalement espagnols, participent alors aux mobilités de travail et de négoces. Ces mouvements sont d’autant plus importants que l’entrée des personnes sur le territoire français restent libre jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cette période se caractérise donc par une mosaïque d’itinéraires migratoires, saisonniers ou marchands.
Ces déplacements restent toutefois difficiles à cerner car ils s’échappent souvent aux outils statistiques mis en place par l’administration.
Les deux autres types d’immigration, temporaire et définitive sont plus rares : l’immigré temporaire demeure quelques temps en un lieu avant de retourner dans son pays d’origine tandis que les immigrés définitifs font souche dans leur pays d’accueil. Ces derniers finissent parfois par épouser une Française ou encore demander la nationalité française sans forcément rompre les liens avec leurs pays d’origine.
Cette immigration, principalement de proximité, est alors empreinte de la présence espagnole, témoignage d’une relation ancienne entre les deux versants des Pyrénées : ceux-ci restent longtemps marquées par les migrations saisonnières liées notamment aux activités agropastorales.
En 1851, les Espagnols représentent ainsi 72 % des étrangers installés dans les départements du Sud-Ouest. A la fin du XIXesiècle, cette proportion atteint même 85 %, concentrée avant tout en Haute-Garonne, Gers et Hautes-Pyrénées : 2.550 Espagnols sont alors recensés en Hautes-Pyrénées (sur 3.000 étrangers). Cette population exerce avant tout des professions sans qualification, petits métiers ou artisanat.
Le développement des infrastructures de transport (routes, ponts, voies ferrées) ou de travaux publics (aménagements hydroélectriques) ainsi que l’industrie extractive (mines, carrière) mobilisent de nombreux travailleurs immigrés dont les effectifs restent fluctuants.
Dès la seconde moitié du XIXesiècle, les immigrés contribuent en effet à ces opérations en étant employés, le plus souvent, aux tâches les plus ingrates. Mais cette population composée essentiellement d’Espagnols reste « flottante » et se déplace au gré des chantiers et des rémunérations plus avantageuses.
De ce fait, le profil de la population étrangère n’évolue guère durant cette période : espagnole, masculine, saisonnière le plus souvent, temporaire, parfois, elle se répartit le long des grands axes de circulation et des centres urbains. C’est dans ce contexte d’ailleurs qu’apparaît un quartier espagnol à Tarbes où 3,6 % de la population est d’origine immigrée en 1861.
Aux côtés des Espagnols, d’autres réseaux d’immigration apparaissent, le plus souvent spécialisés. Ainsi, à compter de la première décennie du XXe siècle, est recensée en Barousse une communauté de forestiers italiens (charbonniers, marchands de charbons et bûcherons).
Tous originaires de la province de Pistoïa (Toscane) et organisés en réseaux, ces hommes finissent par s’attirer la jalousie des locaux. Ainsi, en 1910, le maire de Ferrère fait part au préfet des plaintes des ouvriers charbonniers de la commune concernant leurs difficultés à travailler sur les chantiers proches alors que « les étrangers notamment italiens, accaparent la plus grande part de l’exploitation qui se fait dans les bois environnants ».
Le recours aux étrangers pour assurer les travaux les plus durs explique leur engagement dans les luttes du mouvement ouvrier en cours de structuration. Dans les Hautes-Pyrénées, ils sont ainsi à l’origine de plusieurs grèves : en 1912, 720 ouvriers dont 650 Espagnols employés aux usines électriques de Soulom cessent le travail durant 16 jours afin d’obtenir une augmentation de salaires, la reconnaissance syndicale et le repos hebdomadaire ; à la même période, une centaine d’employés de l’usine de silico-manganèse de Pierrefitte dont plusieurs dizaines d’Espagnols, chargés de transporter à dos d’hommes des bobines de câble à travers la montagne, revendiquent, quant à eux, de meilleures conditions salariales.
Si les travailleurs français et étrangers se retrouvent sur certaines luttes, ils peuvent également s’opposer dans les moments de tension économique et de restriction d’emplois. La présence d’immigrés dans le secteur industriel provoque dès lors des rivalités à l’image des incidents survenus au sein des ateliers Gache à Tarbes entre ouvriers français et espagnols en juillet 1915.
Parmi les étrangers fréquentant les Hautes-Pyrénées, sont recensés, tout au long du XIXe siècle, les touristes, curistes et résidents de la « bonne société ». L’essor de la villégiature et des loisirs, les thermes, les excursions et le pyrénéisme dont l’une des figures, le comte Henry Russell, est Irlandais par son père, favorisent en effet la venue de touristes, notamment anglo-saxons, russes et espagnols en quête non seulement de bien-être mais aussi d’efforts.
A ces mouvements touristiques, s’ajoute l’essor du centre de pèlerinage lourdais qui accueille à la fois des religieux et des pèlerins étrangers mais également du personnel immigré employé, par les établissements hôteliers et les centres d’accueil dont le nombre s’accroît fortement dans le dernier tiers du XIXe siècle.
La Première Guerre mondiale a des conséquences immédiates sur les mouvements migratoires marqués notamment par la fermeture des frontières, le départ ou l’internement des ressortissants des pays ennemis ou l’accueil de réfugiés…
Compte tenu de la mobilisation des hommes au front, l’économie de guerre demande un apport massif de main-d’œuvre : le recrutement d’étrangers s’organise donc durant cette période. Ainsi, le Ministère de l’Agriculture créé en 1915 un Office de la main-d’œuvre agricole qui ouvre des bureaux d’immigration le long de la frontière espagnole, notamment à Arreau.
Nombreuses dans le département, certaines industries sont réquisitionnées pour les besoins de la Défense nationale. Celles-ci recrutent alors des étrangers, certains venus d’autres régions de France, d’autres de plus loin dans le cadre d’accords internationaux. Le recours à cette main-d’œuvre extérieure modifie la population des centres industrialisés. Ainsi, les effectifs espagnols progressent fortement durant cette période à Tarbes, cœur du complexe militaro-industriel qui s’est développé dans le département.
A ces arrivées, s’ajoute l’installation temporaire de travailleurs coloniaux, majoritairement indochinois employés à l’arsenal de Tarbes ou sur les chantiers hydroélectriques des vallées d’Aure et du Louron.
Cette extrême diversité de la main-d’œuvre est enfin renforcée par l’emploi de prisonniers militaires, en particulier des Alsaciens-Lorrains enfermés au château de Lourdes, et d’internés civils du camp de Garaison.
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les Hautes-Pyrénées accueillent différents courants d’exilés politiques nés de l’émergence des nationalités ou des affrontements entre traditionnalistes et libéraux qui bouleversent alors l’Europe : Polonais après le soulèvement de Varsovie contre la Russie en 1830, royalistes espagnols chassés par la Révolution constitutionnelle de 1820, insoumis et déserteurs espagnols convoqués lors de la guerre de Cuba (1896-1898) ou encore vagues provoquées lors des guerres carlistes nées de la succession du roi d’Espagne Ferdinand VII (1834-1840 puis 1872-1876)…
Néanmoins, ces mouvements demeurent limités au regard du nombre de réfugiés qui rejoignent les Hautes-Pyrénées dès l’été 1914 : des milliers de Français du Nord et de l’Est ainsi que des Belges cherchent en effet à échapper aux bombardements et à l’avancée des troupes allemandes en prenant la direction du sud de la France, des Pays-Bas ou de l’Angleterre. Face à l’importance de ce mouvement, le gouvernement français adopte des mesures et s’efforce de les répartir sur l’ensemble du territoire, en particulier dans le Midi et le Sud-Ouest.
En raison de leur éloignement du front, les Hautes-Pyrénées accueillent durant la guerre plusieurs camps de prisonniers et d’internés originaires des pays ennemis.
Deux camps de prisonniers militaires sont ainsi recensés dans le département : l’un ouvert initialement à Tarasteix puis transféré à Bonnefont, l’autre au château de Lourdes où l’on trouve principalement des Alsaciens-Lorrains.
Au début des hostilités, le gouvernement français fait également interner les civils originaires de « l’autre camp » alors présents sur son territoire. Une soixantaine de camps sont alors ouverts à travers le pays. Parmi eux, figure celui de Garaison qui accueille, entre 1914 et 1919, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, résidents en France de manière temporaire ou définitive.
D’une capacité estimée à 1300 personnes, le camp voit le nombre d’internés évoluer tout au long du conflit au gré des rapatriements et libérations. Au final, ce sont près de 3.000 personnes qui fréquenteront les bâtiments de l’ancien séminaire.