Des cloches historiques

Les Hautes-Pyrénées abritent un important patrimoine campanaire. De nombreuses cloches antérieures à la Révolution subsistent et doivent encore, pour certaines, être étudiées et protégées.

Depuis plus d’un siècle, les recherches d’érudits, de représentants du Ministère de la Culture et de chercheurs de l’Inventaire général ont permis d’en identifier beaucoup, dont certaines sont particulièrement remarquables.

Saint-Lary : le mystère des cloches enfouies

L'une des cloches découvertes à Saint-Lary (1507)
L'une des cloches découvertes à Saint-Lary (1507)

À deux reprises, lors de chantiers de terrassement, deux cloches de 300 et 500 kg ont été découvertes enfouies à Saint-Lary en 2006 et 2009. Elles ont probablement été cachées pour échapper à la fonte, peut-être lors de la Révolution.

La première n’est pas datée mais peut remonter au XVe siècle. Elle porte une inscription en belles lettres onciales.

La seconde cloche, de très belle facture, est datée de 1507 et porte : IHS (Iesus Hominum Salvator : Jésus Sauveur des Hommes) et AM (Ave Maria : Je vous salue Marie), inscriptions très courantes alors.

Elles sont complétées par l’invocation : A FULGURE ET TEMPESTATE LIBERA NOS DOMINE (De la foudre et de la tempête, libère-nous, Seigneur). Cette invocation renvoie directement aux prières prononcées lors de la bénédiction d’une cloche et au pouvoir qui lui était attribué de faire se dissiper les orages.

La qualité de fonte de cette cloche et la préciosité de ses décors, en particulier les lettres enjolivées, les rinceaux et les croix, évoquent le bourdon de Trie-sur-Baïse, datant de 1508. Les deux cloches pourraient donc être attribuées au même fondeur itinérant, hélas toujours anonyme.

Trie : un bourdon exceptionnel

Le bourdon de Trie-sur-Baïse (1508)
Le bourdon de Trie-sur-Baïse (1508)

La grosse cloche ou bourdon de Trie (1508) mesure 1,20 m de hauteur et de diamètre pour un poids de plus d’une tonne ; il a été classé dès 1907 car bien connu des érudits locaux. En 1773, un fondeur espagnol, Bernardo Rio réussit une réparation de la bélière.

Les inscriptions, en deux lignes, se trouvent juste au-dessous du cerveau. Elles sont en belles lettres gothiques ornées de motifs végétaux évoquant des lettrines enluminées :

+ I[ESUS] H[OMINUM] S[ALVATOR] IN MENTEM SAN[C]TAM SPONTANEAM ONOREM DEO PATRIE ET LIBERATIONEM ASO SE FE A TRYA L A[N]/ M CCCCC VIII G D F TRYA TRYA

(Jésus, Sauveur des Hommes. Pour une âme sainte et généreuse, pour l’honneur de Dieu et la délivrance de la Patrie. Ceci fut fait à Trie, l’an 1508 GDF Trie Trie)

Cette inscription reprend l’épitaphe de Sainte Agathe, protectrice contre la foudre et patronne des fondeurs. Cette invocation est très courante sur les cloches à partir du XIIIe siècle. Plus bas, l’invocation à la Vierge, Ave Maria, est trois fois répétée dans le bronze, comme les trois sonneries quotidiennes de l’angélus. Elle est complétée par Te Deum laudamus, louange adressée à Dieu. Le décor comprend des rinceaux, de belles croix et un Christ de douleur dans un cadre architecturé.

La cloche de Trie témoigne également d’une grande maîtrise technique illustrant le travail des fondeurs du début de la Renaissance.

Bonnefont : une cloche baptisée par la Montespan

Le village de Bonnefont abrite les restes du château du marquis de Montespan.

L’église garde dans une cloche le souvenir de l’infortuné rival de Louis XIV, de son épouse, favorite royale, et de leur fils, le futur duc d’Antin, grand pourvoyeur de marbres pyrénéens pour Versailles. Le jour de la fonte, la marquise aurait lancé dans le fourneau du fondeur des pièces d’argent, origine du son cristallin de l’airain. Cette cloche est de taille moyenne, mesurant 62 cm de diamètre et de hauteur. Le décor au niveau du cerveau porte quatre fleurs de lys et une inscription en relief : SIT NOMEN DOMINI BENEDICTUM (que le Nom du Seigneur soit béni).

Le reste du décor comprend des rameaux de laurier et une grande croix latine sur trois degrés. De part et d’autre se lit le millésime 16 – 68 et deux nouvelles fleurs de lys. L’inscription la plus intéressante est sur la pince, gravée (en creux) d’une écriture cursive parfois maladroite :

PARIN MESSIRE LOVIS ANTHOINE DE PARDEILHAN DE GONDRIN FILS DE MESSIRE HAVT ET PUISSANT SEIGNEUR LOVIS HENRY DE PARDEILHAN DE GONDRIN MARQVIS DE MONTESPAN HAUTE E[T] P[UISSANTE] DAME FRANCOISE DIANE ROCHOCHOAR DE MORTAMAR MARQUISE DE MONTESPAN SES PERE ET MERE LEQUEL EST AAGE DE DEVX ANS ET HVICT MOIS AMEN 1668.

Deux ans et huit mois après la naissance du futur duc d’Antin place la fonte en mai 1668, un an après le début de la relation entre Louis XIV et la marquise. Le marquis s’emporte contre le roi qui le fait emprisonner avant de l’exiler sur ses terres gasconnes.

La cloche de Bonnefont (1668)
La cloche de Bonnefont (1668)

Lanne : la cloche de la princesse

Le clocher de Lanne, rebâti au XIXe siècle, renferme une belle cloche dédiée à la Vierge, fondue en 1784 par François Teysseyre. À sa base, l’inscription extraite du Veni Creator, OSTHEM REPELLAS LONGIUS : Repousse l’ennemi loin de nous, renvoie au pouvoir protecteur attribué aux cloches.

Son intérêt historique réside dans ses prestigieux commanditaires. La panse conserve le texte suivant :

LEURS ALTESSES MONSEIGNEUR CHARLES ARNAUD JULES DE ROHAN PRINCE DE ROHAN ROCHEFORT LIEUTENANT GENERAL DES ARMEES DU ROY SEIGNEUR MARQUIS DE BENAC PREMIER BARON DE BIGORRE PARAIN ET MADAME MARIE HENRIETTE CHARLOTTE DOROTHEE DORLEANS DE ROTHELIN SON EPOUSE MAREINE

Selon la tradition, la marquise aurait versé dans le métal le contenu d’un tablier de pièces d’or. Cela lui donnait un son qui portait « jusqu’à la grotte de Lourdes » (Robert Borie).

Les noms et titres du parrain et de la marraine de la cloche de Lanne (1784)
Les noms et titres du parrain et de la marraine de la cloche de Lanne (1784)