Vous avez dit cloche ?
Un instrument de musique bien particulier
La cloche est un instrument sonore à percussion, en forme de vase renversé, classé parmi les idiophones (le matériau donne le son). Elle est suspendue dans un clocher à l’aide d’un joug en bois ou en métal, et munie d’un battant en fonte ou fer. Le son est produit par la frappe du battant à l’intérieur lorsque la cloche est mise en mouvement, soit manuellement, soit à l’aide d’un moteur, ou par un marteau extérieur. Une cloche pèse plus de 10 kg, en-dessous, on parle de timbre ou tinterelle.
La tradition attribue l’origine et la diffusion des cloches d’église à Paulin (353-431), évêque de Nole, ville italienne de Campanie (nom dont dérive campane et campanaire : cloche et adjectif lié). Cette région produisait dans l’Antiquité des vases en bronze de forme circulaire et conique évoquant celle des cloches.
Matière et usages
Les cloches sont presque toujours en bronze ou airain (alliage de 78 % de cuivre et 22 % d’étain), beaucoup plus rarement en cuivre, fer, céramique ou fonte. La création des cloches, dévolue aux moines durant le haut Moyen-Âge, est ensuite passée à des fondeurs laïcs, autrefois itinérants. Ceux des Hautes-Pyrénées étaient d’origines diverses mais une famille, les Dencausse, s’est établie à Soues et Tarbes. On a cru longtemps qu’en ajoutant de l’argent lors de la fonte le son serait plus pur. D’où la légende locale à propos des cloches de Bonnefont (1668) et Lanne (1784), où il est dit que la marquise de Montespan ou la princesse de Rohan Rochefort a jeté des pièces de monnaie dans le métal en fusion. Plus la cloche est grande, plus le son va en être grave.
Principalement dévolues à un usage religieux, les cloches d’église sont utilisées pour annoncer les offices, le décès d’un fidèle, un évènement ou alerter… Elles sont bénites et portent souvent une inscription qui indique leur nom, leurs donateurs, une prière... et des décors.
Quelques célébrités
La France conserve plusieurs dizaines de milliers de cloches et près de 7 500 sont protégées au titre des Monuments historiques (une cinquantaine dans les Hautes-Pyrénées). La plus grosse cloche – la Savoyarde (19 tonnes) – se trouve à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris. La plus célèbre est sans doute le bourdon Emmanuel, à Notre-Dame de Paris, datant de 1685 (13 tonnes, joug : 5 tonnes, battant : 475 kg). La plus ancienne serait la « cloche miraculeuse » de Rocamadour, peut-être antérieure au IXe siècle.
Comment fabrique-t-on une cloche ?
Depuis des siècles, la fonte des cloches est restée traditionnelle. Il s’agit d’un travail à la fois technique et artisanal, mais aussi artistique.
En général dans une fosse, pratiquée anciennement dans l’église même ou à proximité, est construit un noyau creux en pierre ou brique, enduit d’un mélange d’argile, crottin, poils de chèvre, cendre… Ce noyau occupe l’intérieur de la future cloche. Un feu de charbon de bois est allumé à l’intérieur.
Sur ce noyau est réalisée une fausse cloche en argile ou terre mélangée à de la bouse de vache, recouverte de cire qui reçoit tous les éléments prévus en relief sur la future cloche : cordons, inscriptions, date, décors… modelés ou moulés dans des formes en bois que les fondeurs se transmettent. Pour ces deux premières étapes, le profil de la cloche est donné par des gabarits en bois tournant autour d’un axe central. Son tracé est déterminé par une base codifiée appelée échelle campanaire, bâton de Jacob ou brochette. Ce document permet, à partir du diamètre, d’avoir toutes les cotes, l’épaisseur, le poids et la note de la future cloche.
La fausse cloche est à son tour recouverte par une chape composée de terre, crottin de cheval et filasse créant une armature ; autour sont disposés cordes et crochets. Le feu entretenu dans le noyau permet le séchage des parties en argile et la fonte des décors en cire de la fausse cloche qui ont laissé leur empreinte dans la partie interne de la chape.
Après séchage, la chape est soulevée et la fausse cloche est cassée. Après quoi, la chape est repositionnée sur le noyau. À cette étape, il existe donc un espace vide – créé par la fausse cloche disparue – entre le noyau et la chape. Sur le moule de la cloche est placé le moule de la couronne (anses qui permettent la fixation de la cloche à son joug).
Ensuite intervient la coulée du bronze – alliage de 78 % de cuivre et 22 % d’étain porté à 1200 degrés dans un four ou un creuset. Le métal en fusion est conduit dans la fosse où se trouvent les moules par un canal de brique et il remplit l’espace laissé libre par la fausse cloche retirée. Tous les éléments marqués en creux à l’intérieur de la chape vont apparaître en relief sur le métal. Le refroidissement peut prendre une semaine ou davantage, après quoi la chape est cassée pour révéler une cloche brute de fonderie.
Finitions et accessoires
En dernier lieu interviennent les finitions : sablage, polissage, ciselures et accordage. Ce dernier peut se faire par enlèvement de matière à l’intérieur de la cloche (rognage).
Le battant, autrefois en fer forgé, est de nos jours en fonte ou acier. Son poids représente environ 1/20e de celui de la cloche. Il est fixé à l’intérieur au moyen d’une courroie de cuir (brayer) passée dans un anneau (bélière) solidaire du cerveau de la cloche.
Les cloches sont suspendues à une structure de charpente de bois ou métallique – le beffroi – qui n’est pas solidaire des murs du clocher afin de ne pas les fragiliser lors des sonneries créant des poussées importantes.
Et en Gascon ?
En gascon, il existe plusieurs mots pour désigner les cloches, selon leur taille. Un inventaire de l’église de Luz en 1444 cite, dans le clocher, les senhs gros et les esqueras grosses et, dans l’église, una roda de métaus eu a XIII (une roue de clochettes où il y en a treize). L’acte évoque aussi un métalet : petite clochette qui accompagne le Saint-Sacrement hors de l’église. Le terme campana est aussi couramment utilisé : l’assemblée des habitants est convoquée au toc de la campana. Le fondeur est appelé saintier ou senhier, termes dérivés de signum (cloche en latin).
En vallée de Barège, la montagne de Campana serait creuse et abriterait une énorme cloche d’argent bruni dont le battant actionné par un troupeau de chèvres noires sonne lorsqu’il arrive malheur au pays… cité par Karl des Monts dans Les légendes des Pyrénées.