Querelles... de clocher
La possession d’au moins une cloche est capitale dans les villes et villages en raison de tout ce qu’elle représente pour la communauté. Son usage n’est pas que religieux ou civil, il est aussi un marqueur social fort et un instrument auquel est attribuée une protection.
Marqueur social et usages profanes
Les sonneries révèlent le rang de chaque individu. Ainsi, lors d’un baptême ou d’un enterrement, les hommes ont droit à plus de tintements que les femmes.
Sous l’Ancien Régime, le choix des cloches à sonner et le nombre de coups accompagnant le convoi funèbre sont parfois source de procès comme à Saint-Sever-de-Rustan. À la fin du XIXe siècle encore, le Diocèse de Tarbes prévoit des enterrements d’une à quatre classes avec des composants différents : nombre d’enfants de chœur, de cierges, type de drap mortuaire et de sonnerie de cloches.
L’usage des cloches peut amener parfois à des débordements profanes. Ainsi, selon une croyance tenace, toutes les tempêtes de l’année se formaient durant la nuit de la Sainte Agathe (5 février). Cette sainte martyre de Sicile était réputée pour arrêter les éruptions volcaniques, séismes... Elle est aussi la sainte patronne des fondeurs de cloches. Pour conjurer les calamités, le peuple festoyait dans l’église en sonnant à la volée toute la nuit. Ces pratiques ont été interdites au XVIIe siècle par les évêques de Bigorre et de Comminges.
Autre usage surprenant : en vallée de Barèges, au XVIIe siècle, les habitants font toucher leur bétail par un prêtre tenant un battant (de cloche ?) conservé dans l’église de Gavarnie, auquel est attribuée une vertu protectrice contre la rage.
Le même réflexe de protection présidait à la sonnerie des orages, bien connue dans de multiples régions de France et d’Espagne (Aragon) et encore pratiquée il y a peu. Le rite de bénédiction des cloches rappelle qu’elles peuvent éloigner « la foudre et la tempête ». Au bruit du tonnerre, les habitants se regroupaient dans l’église, allumaient les cierges et obligeaient le prêtre à les accompagner pour réciter prières et exorcismes. La pratique n’est pas sans risque comme en témoigne, en 1766, la mort du sonneur d’Héchac, vraisemblablement foudroyé dans le clocher. Idem en 1817 à Estampures où trois habitants sont blessés. En 1876, le clocher de Vic reçoit la foudre durant une sonnerie d’orage mais le sonneur en réchappe.
Ce statut très particulier de la cloche explique les précautions prises dans le choix du sonneur. Il occupe souvent d’autres fonctions paroissiales : surveillance et entretien du clocher et de l’horloge, de l’église et de la sacristie, fonction de fossoyeur. Cela demande abnégation et beaucoup de disponibilité au service de la paroisse, souvent pour une mince rétribution. Le sonneur est payé par la communauté ou la fabrique, et est doté en habillement. Une partie de son traitement peut être du grain donné par les paroissiens à l’occasion de quêtes qui peuvent se révéler fructueuses, surtout lors du dépiquage des grains et des vendanges si les récoltes ont été protégées par ses sonneries.
Bien souvent, le sonneur est aussi carillonneur, ce qui demande des qualités musicales. À Arras-en-Lavedan, Estarvielle ou Saint-Savin, des cordes reliées aux battants pouvaient être actionnées avec les mains et les pieds. Chaque sonneur a sa manière propre de faire raisonner les cloches. Des sanctuaires comme Garaison ou Lourdes possèdent des carillons élaborés.
De nos jours, les sonneries sont souvent uniformisées du fait de l’automatisation. Elles ne participent pas moins à l’identité d’un lieu. En janvier 2021, un texte de loi a défini et protégé le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, dont les cloches font partie intégrante.